1 mars 1999

HAMLET, FILM NORDIQUE



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HAMLET, FILM NORDIQUE
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Laurence OLIVIER présente et joue HAMLET ‑ sur un scénario de William SHAKESPEARE.
Le cinéma permet une nouvelle interprétation du drame élisabéthain et déjà certains crient au sacrilège ‑ Shakespeare sur un écran ! et de se voiler la face.
C’est en pensant tout spécialement à ces âmes sensibles que je tiens à mettre en tête de ces quelques pages la remarque suivante, qui n’est nullement paradoxale : "Jamais mise en scène ne fut davantage dans l’esprit de la pièce".
Je pense que ce film n’est pas plus "loin" du grand Will que l’interprétation romantique du siècle dernier ou les tentatives, plus ou moins d’avant-garde, d’aujourd’hui.
On cherche à créer un rideau de fer : ici, le théâtre ; là, le cinéma. Et malheur à l’imprudent qui franchit la ligne idéale de démarcation.
Mais qu’y a—t-il de plus important, âmes vertueuses, la lettre ou l’esprit ‑ la technique ou le respect de l’oeuvre ? Des pitres peinturlurés en chair et en os ou de réels fantômes sur un écran de toile ?
Et voila peut-être l’adjectif à ne pas employer : REEL ! N’est ce pas cette réalité que vous reprochez au cinéma ? Dans une pièce chaque pas des acteurs ne nous ramène-t-il pas à l’irréalité de la scène (ah ! Odéon de nos années de collège où nous guettions les entrées et les sorties de Molière, les claquements de porte qui faisaient danser les trois murs de toile aux moulures consciencieusement léchées).
Au cinéma, pas de toc : les marches sonnent, les flammes brûlent et peut-être les glaives tuent...
Dès la première image nous avons compris tout ce qu’apportait le cinéma :
Shakespeare dit "ELSENEUR, AU DANEMARK". Cette phrase est même quelquefois écrite sur le programme, en tout petits caractères, à la fin de la liste des personnages. Ça ne va guère plus loin ‑ même pas une pancarte au milieu de la scène, comme au moyen-âge.
Le film, sans qu’il soit besoin d’une parole, nous montre en quelques plans les vagues de la Mer du Nord. Nous sommes immédiatement en plein brouillard et en pleine légende.
Vous me direz : "Et l’imagination ?"
L’important, quand Shakespeare dit Elseneur, ce n’est pas de voir ou de ne pas voir le château, mais d’imaginer ce qu’il y a derrière ‑ ce que nous mettons derrière.
Les vagues n’entravent pas une seconde mon imagination mais au contraire lui ouvrent un nouveau champ d’action.
‑ Le cinéma nous apporte de nouvelles possibilités de rêves.
Car c’est souvent la réalité qui contient la plus grande part de rêve, fous qui croyez qu’il suffit de voir une chose pour la comprendre...
A ce propos, le spectre est parfait, nous ne le distinguons qu’à peine et pourtant cette imprécise vision suffit à nous entraîner dans tout un univers de légende (pour ma part il me fait furieusement penser au dieu nordique WOTAN ‑ ou encore à l’énigmatique chevalier de DÜRER qui chevauche, insensible au diable et à la mort).
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Puisque nous en sommes au spectre, une seule séquence m’a franchement choqué : l’évocation en images de la mort du roi qui vient couper le récit qu’il en est fait à Hamlet. Le vent, la pluie et les noirs nuages d’Elseneur suffiraient au tragique ‑ et non cette mort d’opéra...

Parenthèse tardive mais nécessaire. Bien entendu je n’insiste ni sur le fond ni sur le style d’Hamlet, ces considérations relèvent du devoir de rhétorique et seul le dialogue "Shakespeare ‑ Olivier" m’intéresse aujourd’hui.

Ce film est techniquement parfait.
Un peu "agité" toutefois. La caméra se promène beaucoup, enfile couloirs et corridors, grimpe d’interminables escaliers et dégringole des voûtes en travellings vertigineux.
Laurence Olivier a-t-il craint que des images statiques ne fassent trop théâtre ‑ Peut-être ‑ Personnellement, je préfère son parti-pris de virtuosité. Le dialogue peut-être "soutenu" soit par une image fixe, soit au contraire par des mouvements d’appareil.
L’une et l’autre solution sont défendables.
Laurence Olivier est un peu comme celui qui à l’église écoute le prédicateur en regardant les chapiteaux. L’immobilité n’est pas toujours un signe d’attention.
Le qualificatif de "parfait" s’applique tout aussi bien à la photographie. Chaque image mériterait d’être conservée et qui n’a pas découpé dans un journal une photo d’Hamlet pour sa seule valeur artistique ?
Chaque éclairage, chaque composition a sa raison d’être et contribue à la valeur du texte.
J’ai eu l’impression ‑ tout en constatant une remarquable "unité" de la photographie ‑ que le style suivait le découpage scénique de Shakespeare.
Les remparts brumeux, incertains, gluants de pluie.
L’intensité violente, réaliste, de la scène entre Hamlet et sa mère Gertrude.
Le "renfermé" du cimetière, où les cadavres pesants, écrasés, nous ramènent à la terre.
Et cette fin cruelle, magnifique, chaque image d’un noir plus dur, contrastant avec un blanc plus cru et annonçant l’imminence du dénouement et de la mort.
Le photographe, Desmond Dickinson, lui aussi a respecté Shakespeare.
Les décors ‑ tout comme les costumes ‑ sont de Roger Furse, leur première qualité, chose rare au cinéma, est d’être très "lisibles". En quelques images, nous comprenons l’architecture du palais, nous suivons sans aucun effort l’action de pièce en pièce (il n’y a pas ce trop souvent désagréable "sautillement" du théâtre).
J’ai un peu pensé à ces mystères où d’un seul coup d’œil on embrassait tout le décor, du gouffre de l’enfer aux portes du paradis.
Le décor, sobre, architectural, enferme la tragédie entre de bons murs et de solides voûtes. II resserre l’action, il la souligne par quelques discrètes (trop discrètes) peintures murales, par un minimum de tentures et les quelques meubles choisis et indispensables.
Les costumes, très riches, minutieux (j’ai vu quelques croquis de travail, il y a un beau souci d’honnêteté allié à une qualité de recherche et de détail extraordinaire). Ils conviennent exactement à chaque personnage et contrastent avec la nudité des murailles.
Ce ne sont ni des costumes de fantaisie, ni des reconstitutions de musée, mais les créations sans époque bien déterminée d’un
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artiste qui est sûrement un chercheur et un érudit.
La musique était bonne ‑ entre autres l’apothéose tragique de la fin. Un critique a parlé, je crois, de l’interprétation wagnérienne de Laurence Olivier. Ceci indique bien l’esprit dans lequel l’orchestre soutient l’action.

L’interprétation est, évidemment de premier ordre. Il n’y a pas des "acteurs de théâtre" et des "acteurs de cinéma". Il n’y a que de grands acteurs et des pitres.
Hamlet demeurera pour nous le prouver.
En tête l’éblouissant Laurence olivier qui nous donne, après "Henri V" une nouvelle preuve de talent et de virtuosité. Sa conception très personnelle d’Hamlet est rendue plus fouillée par le cinéma, où chaque jeu de physionomie est démesurément grandi. Laurence Olivier, grand metteur en scène, donne bien cette impression de "meneur de jeu" que j’associe toujours à l’image d’Hamlet (il y a quelques très bonnes minutes d’humour anglais dans ses conseils aux comédiens, un malicieux, un supra ‑ habile sourire).
L’amour ou l’effroi, la tristesse ou la haine, tout cela Laurence Olivier l’exprime tour à tour, dans un merveilleux équilibre du geste et de la parole.
Les monologues où sa voix "double" son visage muet sont particulièrement réussis. Avec quel effroi pourtant n’ai je pas attendu le fameux "to be or not to be"...
Certaines beautés frisent quelquefois le ridicule à force d’être trop attendues, trop acclamées (pourquoi sourire quand j’applaudis avec la salle le "qu’il mourut"... du vieil Horace ?)
Le beau, l’impétueux Laertes (Terence MORGAN) sort tout droit d’une légende nordique, superbe héros emporté, tendre frère, jeune Danois au manteau doublé de douce fourrure, le poignard au côté, les yeux brillants de confiance ou de haine.
Horatio (Norman WOOLAND) est le fidèle ami d’Hamlet, le soldat valeureux à la démarche sûre et au profil de sous-officier britannique.
Le roi Claudius est magnifique de force et de colère. Basile SIDNEY a eu le rôle le plus dur, celui du traître. Il ne nous fait ni rire ni trembler et c’est peut-être le plus beau compliment à faire à celui qui sut éviter le mélodrame.
Félix AYLMER compose un Polonius touchant de diplomatie et de naïveté. Emouvant même dans ses "conseils à son fils". Un vrai discours de père, touchant et un peu ridicule.
J’aurais même de l’indulgence pour Peter CUSHING qui a fait à la fin dans le rôle d’Osric une sautillante apparition très "petite folle".
La reine Gertrude est interprétée par Hélène HERLIE
Bien qu’un peu jeune pour Laurence Olivier, elle supporte l’écrasante scène que lui fait son fils dans sa propre chambre et tient d’un bout à l’autre de la pièce un rôle au moins aussi difficile que celui du roi Claudius. Sa seule manière de marcher, de regarder ou d’embrasser son fils nous fait oublier la jeunesse de ses traits et chacune de ses "suggestions maternelles" nous révèle une très grande artiste.
Il reste à mon souvenir et à mon coeur Jean SIMONS : Ophélie.
Ophélie, grande petite fille qui ne m’avez pas déçu, avec vos yeux immenses, votre bouche demi ouverte, vos petites nattes et vos cheveux longs, vos poignets et votre démarche de pucelle nordique.
Je ne saurais oublier vos larmes, ni ces fleurs et ces chants qui rythmaient votre folie de petite fille perdue dans un grand palais et une grande tragédie.
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Laurence Olivier eut aussi, eut surtout, une intention nettement caractérisée et qui justifie le titre de ces quelques notes. Il a fait d’Hamlet une tragédie nordique.
Il a replacé dans son cadre, et par là il a pleinement mis en valeur, l’esprit très spécial de la pièce.
Sa vision purement anglo-saxonne est conforme au génie typiquement "européen" de Shakespeare. Elle rejoint les sources de la légende et spécialement le récit qu’en fit le Scandinave SNORRI STURLUSSON aux environs de 1230.
Hamlet n’est plus, enfin, ce méridional phtisique auquel on nous avait habitués ‑ cet olivâtre profil frisotté... Nous sommes en pleine atmosphère nordique.
J’aimerais appeler ce film "la saga d’Hamlet, prince de Danemark".
Les vagues déchaînées, dès la première image, nous apportent tout le mystère de la Mer du Nord.
Et c’est le château, puissant, ramassé, où les rares éléments décoratifs participent aussi du style scandinave.
Le cimetière, avec ses tombes aux motifs runiques, est encore plus typique. Voilà qui repousse bien loin tout ce bric-à-brac oriental de cimetière pseudo-italien qui sévit dans tant de théâtre.
Je note en passant le serment sur le glaive où les mains tendues expriment à elles seules toute la résolution et toute la fidélité pour arriver à la dernière image du film : Hamlet, mort, porté par quatre officiers, calme et rigide, statue blanche et noire, les mains croisées sur son épée.
Et dans cette vision, les gisants des cathédrales, les chevaliers de pierre, rejoignent Tristan couché sur sa barque renversée dans ce décor de rames et de filets imaginé par Cocteau. C’est un même cycle, c’est un même esprit qui unit les tombeaux des croisés de nos cathédrales avec les gisants blonds du mythe celtique ou de la légende scandinave ‑ à qui le cinéma du XX° siècle rend le pouvoir de conduire les rêves des hommes.
Jean de la HUBERDIERE

LE VENT EPAULE VOTRE VOILE ET L’ON VOUS ATTEND. LA, MA BENEDICTION SUR TOI ET CES QUELQUES PRECEPTES DANS TA MEMOIRE. VEILLE A LES Y GRAVER. NE DONNE POINT DE LANGUE A TES PENSEES, NI D’ACTE A QUELQUE IDEE MAL MESUREE. SOIS FAMILIER, MAIS NE SOIS POINT VULGAIRE. LES AMIS QUE TU AS ET DONT TU AS EPROUVE L’ADOPTION, FIXE‑LES A TON AME PAR DES CERCLES DE FER, MAIS N’USE PAS TA MAIN A RECEVOIR EN CAMARADE TOUT BEJAUNE FRAIS ECLOS. GARDE D’ENTRER EN QUERELLE, MAIS Y ETANT, FAIS QUE L’ADVERSAIRE PUISSE SE GARDER DE TOI. DONNE A BEAUCOUP TON OREILLE, A PEU TA VOIX. PRENDS L’AVIS DE CHACUN, MAIS RESERVE TON JUGEMENT... PAR-DESSUS TOUT, SOIS FIDELE A TOI-MEME ; ET IL S’EN SUIVRA NECESSAIREMENT, COMME LA NUIT SUIT LE JOUR, QU’ALORS TU NE SAURAIS ETRE DELOYAL A PERSONNE...
SHAKESPEARE.(Hamlet, acte I.)