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HAMLET,
FILM NORDIQUE
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Laurence
OLIVIER présente et joue HAMLET ‑ sur un scénario de William SHAKESPEARE.
Le cinéma
permet une nouvelle interprétation du drame élisabéthain et déjà certains
crient au sacrilège ‑ Shakespeare sur un écran ! et de se voiler la face.
C’est en
pensant tout spécialement à ces âmes sensibles que je tiens à mettre en tête de
ces quelques pages la remarque suivante, qui n’est nullement paradoxale :
"Jamais mise en scène ne fut davantage dans l’esprit de la pièce".
Je pense
que ce film n’est pas plus "loin" du grand Will que l’interprétation
romantique du siècle dernier ou les tentatives, plus ou moins d’avant-garde,
d’aujourd’hui.
On cherche
à créer un rideau de fer : ici, le théâtre ; là, le cinéma. Et malheur à
l’imprudent qui franchit la ligne idéale de démarcation.
Mais qu’y
a—t-il de plus important, âmes vertueuses, la lettre ou l’esprit ‑ la technique
ou le respect de l’oeuvre ? Des pitres peinturlurés en chair et en os ou de
réels fantômes sur un écran de toile ?
Et voila
peut-être l’adjectif à ne pas employer : REEL ! N’est ce pas cette réalité
que vous reprochez au cinéma ? Dans une pièce chaque pas des acteurs ne nous
ramène-t-il pas à l’irréalité de la scène (ah ! Odéon de nos années de
collège où nous guettions les entrées et les sorties de Molière, les
claquements de porte qui faisaient danser les trois murs de toile aux moulures
consciencieusement léchées).
Au cinéma,
pas de toc : les marches sonnent, les flammes brûlent et peut-être les glaives
tuent...
Dès la
première image nous avons compris tout ce qu’apportait le cinéma :
Shakespeare
dit "ELSENEUR, AU DANEMARK". Cette phrase est même quelquefois écrite
sur le programme, en tout petits caractères, à la fin de la liste des
personnages. Ça ne va guère plus loin ‑ même pas une pancarte au milieu de la
scène, comme au moyen-âge.
Le film,
sans qu’il soit besoin d’une parole, nous montre en quelques plans les vagues
de la Mer du Nord. Nous sommes immédiatement en plein brouillard et en pleine
légende.
Vous me
direz : "Et l’imagination ?"
L’important,
quand Shakespeare dit Elseneur, ce n’est pas de voir ou de ne pas voir le
château, mais d’imaginer ce qu’il y a derrière ‑ ce que nous mettons derrière.
Les vagues
n’entravent pas une seconde mon imagination mais au contraire lui ouvrent un
nouveau champ d’action.
‑ Le cinéma
nous apporte de nouvelles possibilités de rêves.
Car c’est
souvent la réalité qui contient la plus grande part de rêve, fous qui croyez
qu’il suffit de voir une chose pour la comprendre...
A ce
propos, le spectre est parfait, nous ne le distinguons qu’à peine et pourtant
cette imprécise vision suffit à nous entraîner dans tout un univers de légende
(pour ma part il me fait furieusement penser au dieu nordique WOTAN ‑ ou encore
à l’énigmatique chevalier de DÜRER qui chevauche, insensible au diable et à la
mort).
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Puisque
nous en sommes au spectre, une seule séquence m’a franchement choqué :
l’évocation en images de la mort du roi qui vient couper le récit qu’il en est
fait à Hamlet. Le vent, la pluie et les noirs nuages d’Elseneur suffiraient au
tragique ‑ et non cette mort d’opéra...
Parenthèse
tardive mais nécessaire. Bien entendu je n’insiste ni sur le fond ni sur le
style d’Hamlet, ces considérations relèvent du devoir de rhétorique et seul le
dialogue "Shakespeare ‑ Olivier" m’intéresse aujourd’hui.
Ce film est
techniquement parfait.
Un peu
"agité" toutefois. La caméra se promène beaucoup, enfile couloirs et
corridors, grimpe d’interminables escaliers et dégringole des voûtes en
travellings vertigineux.
Laurence
Olivier a-t-il craint que des images statiques ne fassent trop théâtre ‑
Peut-être ‑ Personnellement, je préfère son parti-pris de virtuosité. Le
dialogue peut-être "soutenu" soit par une image fixe, soit au
contraire par des mouvements d’appareil.
L’une et
l’autre solution sont défendables.
Laurence
Olivier est un peu comme celui qui à l’église écoute le prédicateur en
regardant les chapiteaux. L’immobilité n’est pas toujours un signe d’attention.
Le
qualificatif de "parfait" s’applique tout aussi bien à la
photographie. Chaque image mériterait d’être conservée et qui n’a pas découpé
dans un journal une photo d’Hamlet pour sa seule valeur artistique ?
Chaque
éclairage, chaque composition a sa raison d’être et contribue à la valeur du
texte.
J’ai eu
l’impression ‑ tout en constatant une remarquable "unité" de la
photographie ‑ que le style suivait le découpage scénique de Shakespeare.
Les
remparts brumeux, incertains, gluants de pluie.
L’intensité
violente, réaliste, de la scène entre Hamlet et sa mère Gertrude.
Le
"renfermé" du cimetière, où les cadavres pesants, écrasés, nous
ramènent à la terre.
Et cette
fin cruelle, magnifique, chaque image d’un noir plus dur, contrastant avec un
blanc plus cru et annonçant l’imminence du dénouement et de la mort.
Le
photographe, Desmond Dickinson, lui aussi a respecté Shakespeare.
Les décors ‑
tout comme les costumes ‑ sont de Roger Furse, leur première qualité, chose
rare au cinéma, est d’être très "lisibles". En quelques images, nous
comprenons l’architecture du palais, nous suivons sans aucun effort l’action de
pièce en pièce (il n’y a pas ce trop souvent désagréable
"sautillement" du théâtre).
J’ai un peu
pensé à ces mystères où d’un seul coup d’œil on embrassait tout le décor, du
gouffre de l’enfer aux portes du paradis.
Le décor,
sobre, architectural, enferme la tragédie entre de bons murs et de solides
voûtes. II resserre l’action, il la souligne par quelques discrètes (trop
discrètes) peintures murales, par un minimum de tentures et les quelques
meubles choisis et indispensables.
Les
costumes, très riches, minutieux (j’ai vu quelques croquis de travail, il y a
un beau souci d’honnêteté allié à une qualité de recherche et de détail
extraordinaire). Ils conviennent exactement à chaque personnage et contrastent
avec la nudité des murailles.
Ce ne sont
ni des costumes de fantaisie, ni des reconstitutions de musée, mais les
créations sans époque bien déterminée d’un
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artiste qui
est sûrement un chercheur et un érudit.
La musique
était bonne ‑ entre autres l’apothéose tragique de la fin. Un critique a parlé,
je crois, de l’interprétation wagnérienne de Laurence Olivier. Ceci indique
bien l’esprit dans lequel l’orchestre soutient l’action.
L’interprétation
est, évidemment de premier ordre. Il n’y a pas des "acteurs de
théâtre" et des "acteurs de cinéma". Il n’y a que de grands
acteurs et des pitres.
Hamlet
demeurera pour nous le prouver.
En tête
l’éblouissant Laurence olivier qui nous donne, après "Henri V" une
nouvelle preuve de talent et de virtuosité. Sa conception très personnelle
d’Hamlet est rendue plus fouillée par le cinéma, où chaque jeu de physionomie
est démesurément grandi. Laurence Olivier, grand metteur en scène, donne bien
cette impression de "meneur de jeu" que j’associe toujours à l’image
d’Hamlet (il y a quelques très bonnes minutes d’humour anglais dans ses
conseils aux comédiens, un malicieux, un supra ‑ habile sourire).
L’amour ou
l’effroi, la tristesse ou la haine, tout cela Laurence Olivier l’exprime tour à
tour, dans un merveilleux équilibre du geste et de la parole.
Les
monologues où sa voix "double" son visage muet sont particulièrement
réussis. Avec quel effroi pourtant n’ai je pas attendu le fameux "to be or
not to be"...
Certaines
beautés frisent quelquefois le ridicule à force d’être trop attendues, trop
acclamées (pourquoi sourire quand j’applaudis avec la salle le "qu’il
mourut"... du vieil Horace ?)
Le beau, l’impétueux
Laertes (Terence MORGAN) sort tout droit d’une légende nordique, superbe héros
emporté, tendre frère, jeune Danois au manteau doublé de douce fourrure, le
poignard au côté, les yeux brillants de confiance ou de haine.
Horatio
(Norman WOOLAND) est le fidèle ami d’Hamlet, le soldat valeureux à la démarche
sûre et au profil de sous-officier britannique.
Le roi
Claudius est magnifique de force et de colère. Basile SIDNEY a eu le rôle le
plus dur, celui du traître. Il ne nous fait ni rire ni trembler et c’est peut-être
le plus beau compliment à faire à celui qui sut éviter le mélodrame.
Félix
AYLMER compose un Polonius touchant de diplomatie et de naïveté. Emouvant même
dans ses "conseils à son fils". Un vrai discours de père, touchant et
un peu ridicule.
J’aurais
même de l’indulgence pour Peter CUSHING qui a fait à la fin dans le rôle
d’Osric une sautillante apparition très "petite folle".
La reine
Gertrude est interprétée par Hélène HERLIE
Bien qu’un
peu jeune pour Laurence Olivier, elle supporte l’écrasante scène que lui fait
son fils dans sa propre chambre et tient d’un bout à l’autre de la pièce un
rôle au moins aussi difficile que celui du roi Claudius. Sa seule manière de
marcher, de regarder ou d’embrasser son fils nous fait oublier la jeunesse de
ses traits et chacune de ses "suggestions maternelles" nous révèle
une très grande artiste.
Il reste à
mon souvenir et à mon coeur Jean SIMONS : Ophélie.
Ophélie,
grande petite fille qui ne m’avez pas déçu, avec vos yeux immenses, votre
bouche demi ouverte, vos petites nattes et vos cheveux longs, vos poignets et
votre démarche de pucelle nordique.
Je ne
saurais oublier vos larmes, ni ces fleurs et ces chants qui rythmaient votre
folie de petite fille perdue dans un grand palais et une grande tragédie.
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Laurence
Olivier eut aussi, eut surtout, une intention nettement caractérisée et qui
justifie le titre de ces quelques notes. Il a fait d’Hamlet une tragédie
nordique.
Il a
replacé dans son cadre, et par là il a pleinement mis en valeur, l’esprit très spécial
de la pièce.
Sa vision
purement anglo-saxonne est conforme au génie typiquement "européen"
de Shakespeare. Elle rejoint les sources de la légende et spécialement le récit
qu’en fit le Scandinave SNORRI STURLUSSON aux environs de 1230.
Hamlet
n’est plus, enfin, ce méridional phtisique auquel on nous avait habitués ‑ cet
olivâtre profil frisotté... Nous sommes en pleine atmosphère nordique.
J’aimerais
appeler ce film "la saga d’Hamlet, prince de Danemark".
Les vagues
déchaînées, dès la première image, nous apportent tout le mystère de la Mer du
Nord.
Et c’est le
château, puissant, ramassé, où les rares éléments décoratifs participent aussi
du style scandinave.
Le
cimetière, avec ses tombes aux motifs runiques, est encore plus typique. Voilà
qui repousse bien loin tout ce bric-à-brac oriental de cimetière pseudo-italien
qui sévit dans tant de théâtre.
Je note en
passant le serment sur le glaive où les mains tendues expriment à elles seules
toute la résolution et toute la fidélité pour arriver à la dernière image du
film : Hamlet, mort, porté par quatre officiers, calme et rigide, statue
blanche et noire, les mains croisées sur son épée.
Et dans
cette vision, les gisants des cathédrales, les chevaliers de pierre, rejoignent
Tristan couché sur sa barque renversée dans ce décor de rames et de filets
imaginé par Cocteau. C’est un même cycle, c’est un même esprit qui unit les
tombeaux des croisés de nos cathédrales avec les gisants blonds du mythe
celtique ou de la légende scandinave ‑ à qui le cinéma du XX° siècle rend le
pouvoir de conduire les rêves des hommes.
Jean de la
HUBERDIERE
LE VENT
EPAULE VOTRE VOILE ET L’ON VOUS ATTEND. LA, MA BENEDICTION SUR TOI ET CES
QUELQUES PRECEPTES DANS TA MEMOIRE. VEILLE A LES Y GRAVER. NE DONNE POINT DE
LANGUE A TES PENSEES, NI D’ACTE A QUELQUE IDEE MAL MESUREE. SOIS FAMILIER, MAIS
NE SOIS POINT VULGAIRE. LES AMIS QUE TU AS ET DONT TU AS EPROUVE L’ADOPTION,
FIXE‑LES A TON AME PAR DES CERCLES DE FER, MAIS N’USE PAS TA MAIN A RECEVOIR EN
CAMARADE TOUT BEJAUNE FRAIS ECLOS. GARDE D’ENTRER EN QUERELLE, MAIS Y ETANT,
FAIS QUE L’ADVERSAIRE PUISSE SE GARDER DE TOI. DONNE A BEAUCOUP TON OREILLE, A
PEU TA VOIX. PRENDS L’AVIS DE CHACUN, MAIS RESERVE TON JUGEMENT... PAR-DESSUS
TOUT, SOIS FIDELE A TOI-MEME ; ET IL S’EN SUIVRA NECESSAIREMENT, COMME LA NUIT
SUIT LE JOUR, QU’ALORS TU NE SAURAIS ETRE DELOYAL A PERSONNE...
SHAKESPEARE.(Hamlet,
acte I.)